La Marche mondiale des femmes comme mouvement social


 Illustration et démonstration du rattachement de la Marche mondiale des femmes de 2015 à Trois-Rivières au mouvement féministe

 

La Marche mondiale des femmes, c’est un mouvement social aux valeurs féministes qui rassemble des personnes aux quatre coins de la planète. L’appartenance de la MMF de 2015 à Trois-Rivières au mouvement féministe sera démontrée à l’aide de trois principes pour caractériser les mouvements sociaux. Ceux-ci proviennent du sociologue Alain Touraine et sont l’identité, l’opposition et la totalité (Touraine, cité dans Rocher, 1995, inclus dans Gélineau, 2017a). En bref, le principe d’identité aidera à préciser qui est représenté par la MMF, en quel nom elle existe et quels sont ses intérêts. Celui de l’opposition mentionne contre qui elle lutte, les forces en présence auxquelles elle s’attaque ainsi que ses opposants. Finalement, le principe de totalité énoncera les principes, idéaux ou valeurs universels portés par les citoyens et citoyennes prenant part à cette marche et par la MMF elle-même.

 

Identité

D’abord, la MMF « […] est un mouvement composé de groupes de femmes de diverses origines ethniques, culturelles, religieuses, politiques, de classe, d’âge, d’orientation sexuelle. Au lieu de nous séparer, cette diversité nous unit dans une solidarité plus globale » (Marche mondiale des femmes, 2004). Toutes les femmes sont donc représentées par la MMF. À Trois-Rivières en 2015 lors de la Marche, des hommes étaient également présents sur place pour appuyer les femmes dans leur mouvement. En fait, pour mener à bien les valeurs féministes portées par la Marche, un appel à toute la population québécoise avait été lancé, notamment aux groupes populaires, aux syndicats, aux associations étudiantes, aux groupes de personnes immigrantes, aux réseaux écologistes et aux artistes, pour ne nommer que ceux-ci. Ce faisant, la MMF de 2015 à Trois-Rivières parlait en fait au nom des femmes du Québec, du monde entier et de toutes les personnes désirant se mobiliser en solidarité aux femmes vivant diverses oppressions. De ces oppressions multiples, que ce soit en lien avec les violences faites envers les femmes à divers niveaux (violence conjugale, exploitation sexuelle, culture du viol, etc.), les pressions sociales pour correspondre aux modèles dominants de genre et d’identité, l’utilisation des forces policières abusives lors de manifestations, les dangers liés à l’exploitation des richesses naturelles en sols québécois ou les mesures d’austérité causant la pauvreté, plusieurs intérêts furent défendus par la MMF (CQMMF, 2014). Au sens large, ce sont les intérêts de tous, et plus particulièrement de ceux des femmes, qui ont été défendus lors de cette Marche, sous les aspects du corps, de la Terre et des territoires. « Nous serons en marche jusqu’à ce que nos corps, Terre et territoires soient libres ! », peut-on lire sur le Texte de réflexion pour la MMF 2015, en lien avec la liste d’intérêts défendus sur ce document (CQMMF, 2014, p. 8).

 

Opposition

La Marche mondiale des femmes 2015 n’aurait probablement pas lieu d’exister s’il n’y avait pas de forces sociales donnant raison au mouvement féministe de se soulever par une Marche d’une telle ampleur. La MMF de 2015 s’est donc déroulée en opposition à plusieurs aspects de notre société québécoise. Le 17 octobre, les personnes présentes ont lutté contre les impacts concrets de divers systèmes d’oppressions. Comme mentionné précédemment, on retrouve parmi ceux-ci les normes de beauté, les pressions de la religion, du travail et de la publicité, les formes de contrôle sur le corps des femmes, le racisme, la dévalorisation du travail des femmes, les menaces sur la langue et les territoires autochtones, la marchandisation de la Terre et de ses ressources, etc. La MMF luttait, plus largement, contre le racisme, la lesbophobie, l’âgisme, les classes sociales, le colonialisme et le capacitisme, des termes qui sont tous définis à la page 11 du document (CQMMF, 2014).

 

Au-dessus de tous les aspects touchés par la MMF, des forces sont présentes et sont justement porteuses de plusieurs manifestations d’inégalités dénoncées par ce mouvement féministe. Les trois principales forces mentionnées par la MMF de 2015 sont le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme. En effet, le capitalisme prône la recherche de profit, qui se traduit sur le terrain par de nombreuses inégalités et des impacts sur l’environnement, le patriarcat place les hommes au-dessus des femmes, notamment dans les instances décisionnelles et dans les rapports de pouvoir, et le colonialisme brime certains peuples de leur liberté par l’appropriation par d’autres nations de territoires et de personnes (CQMMF, 2014). Les opposants en présence seraient, par défaut, toutes les personnes ou groupes compromettant les valeurs et principes portés par la MMF et qui tirent profit de ces inégalités. Sinon, le principal opposant au mouvement féministe est le mouvement masculiniste, qui vise à   « […] rétablir les droits des hommes dans une société où les femmes auraient pris le pouvoir » (Blais & Dupuis-Déri, 2008, cité dans Gélineau, 2017b).

 

Totalité

C’est au nom des valeurs de la justice, de l’égalité, de la paix, de la solidarité et de la liberté pour tous que la Marche mondiale des femmes a eu lieu. De nombreux principes sous-jacents à ces valeurs sont apportés pour rassembler la société québécoise sous la forme d’une marche, en vue de bâtir une société plus solidaire aux valeurs féministes. Concrètement, ces principes s’articulent, entre autres, autour du respect des territoires ancestraux, de la protection des différentes cultures, d’un meilleur accès aux espaces démocratiques et d’une meilleure redistribution des richesses (CQMMF, 2014). Les pages 2 à 6 du Texte de réflexion pour la MMF 2015 font état de l’ensemble des dénonciations portées par la MMF de 2015 au Québec.

 

Illustration et démonstration du façonnement

 

Le premier impact constaté suite à la MMF de 2015 est sans doute la visibilité octroyée au mouvement féministe et aux luttes qu’il porte, que ce soit par les reportages télévisés, les articles, ou bien par le biais du bouche-à-oreille. En plus de rassembler 10 000 personnes de divers milieux, la MMF a aussi renforcé la lutte autour des enjeux portés par les femmes des Premières Nations. En bénéficiant de la Marche et de l’appui de nombreuses autres personnes, leur demande pour une commission d’enquête nationale de la part du gouvernement fédéral pour les femmes autochtones disparues a été portée dans les médias. Également, le contexte électoral fédéral aura été dénoncé par des femmes, lequel aurait « […] voilé les véritables problèmes », selon Mélanie Sarazin, présidente de la Fédération des femmes au Québec, au sujet des véritables enjeux pour les femmes du Québec et au Canada (Gamelin, 2015). Sinon, Karine Drolet, du Réseau des groupes de femmes de Chaudière-Appalaches, mentionnait que

les retombées, c’est aussi au niveau du mouvement féministe. On se sent soutenues, encouragées, on sent que c’est un mouvement qui est important aussi. […] Des mouvements comme ça […], ça fait du bien. C’est comme un baume. C’est comme de dire : Ok, on se tient toutes, on es toutes ensembles, on vit toutes les mêmes choses, on veut toutes arriver à la même chose mais on peut prendre des chemins différents. On peut le faire de façon différente et on va toutes arriver au même objectif  (Drolet, 2017).

Également, selon Mme Drolet, on pourrait dire que la MMF s’inscrit dans un changement de société, où on a de plus en plus le droit de manifester. Les mouvements sociaux de solidarité seraient plus présents en collectivité, notamment parce qu’on a le droit de manifester dans la paix et qu’une organisation à plus grande échelle a permis d’accueillir tout le monde lors de la MMF. Un déploiement social a été observé et le fait pour les personnes présentes de dire ce qu’elles veulent de façon solidaire a été permis lors de cette journée. On pourrait également énoncer que ça a probablement contribué à faire avancer la revendication des femmes autochtones pour la commission d’enquête, laquelle a pris forme quelques mois plus tard (Drolet, 2017).

 

 


Références

 

Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes. (2014). Texte de réflexion pour la MMF 2015. Repéré à  http://cdeacf.ca/sites/default/files/editor/texte_de_reflexion_mmf_2015.pdf

 

Drolet, K. (2017, 1er février). Entrevue avec la directrice du Réseau des groupes de femmes de Chaudière-Appalaches. Lévis, Québec : locaux de l’UQAR.

 

Gamelin, O. (2015, 17 octobre). Marche mondiale des femmes: «On a voilé les véritables problèmes». La Presse. Repéré à http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/actualites/201510/17/01-4911005-marche-mondiale-des-femmes-on-a-voile-les-veritables-problemes.php  

 

Gélineau, L. (2017a). SCH1614 - Forces et mouvements sociaux : Cours 2 : Se donner des repères communs [Présentation PowerPoint]. Repéré dans l’environnement Moodle : https://portail.uqar.ca

 

Gélineau, L. (2017b). SCH1614 - Forces et mouvements sociaux : Les mouvements féministes [Présentation PowerPoint]. Repéré dans l’environnement Moodle : https://portail.uqar.ca

 

Marche mondiale des femmes. (2004). Charte mondiale des femmes pour l’humanité. Repéré à http://www.marchemondialedesfemmes.org/publications/charte/charte/fr

 


Dans le cadre du cours Forces et mouvements sociaux au Québec

SCH1614, Hiver 2017, Université du Québec à Rimouski, Campus de Lévis

Par Zena Chandler-Riffin, Darlène Dérézil, Marie-Christine Grondin et Lori Roy