Une ville façonnée par

ses travailleurs

 

Arvida est une ville ouvrière qui n’existerait pas sans Alcan, une entreprise d'aluminium qui s'est implantée dans la région en raison de la présence de nombreux barrages hydroélectriques favorisant l'apport en énergie nécessaire à un tel type de production. Il en va de même pour la région de l’Amiante dans le coin de Thetford Mines, car sans la présence des mines et de ses travailleurs, la région ne se serait jamais développée d’une telle manière. Les habitants d’une ville comme Arvida comptent beaucoup sur l’entreprise qui contribue à maintenir la vitalité des services dans les environs et à assurer un salaire pour la majorité de sa population.

 

Lorsque des luttes sont menées par les travailleurs d’une entreprise ayant autant d’impacts sur son environnement, c’est toute la région qui est concernée. Voilà donc une des principales raisons pour laquelle les employés d’une usine d’une telle ampleur prennent leurs conditions de travail autant à cœur. Or, cette section du site vous permettra de mieux comprendre les événements qui se sont déroulés à Arvida au courant des dernières années. Vous comprendrez ce qui a poussé les ouvriers d’Alcan à mener différents combats au travers l’histoire de la ville et quels en étaient les acteurs principaux. Au travers le déroulement de ces différentes luttes, vous constaterez également les moyens favorisés par les personnes concernées afin d’obtenir gain de cause.

 

La carte ci-dessous illustre bien le potentiel hydroélectrique de la région qui a grandement favorisé l'implantation des usines d'Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean. En effet, on y retrouve quatre usines d'aluminium dans les villes suivantes: Arvida, Alma, Laterrière et Grande-Baie. L'usine d'Alcan la plus volumineuse est celle d'Arvida. Bien entendu, chaque usine a son histoire propre, mais il serait trop long d'expliquer toutes les luttes menées par les ouvriers de ces quatre usines. Cette section du site web se concentrera davantage sur les luttes ouvrières menées à Arvida. Dans une autre section du site, vous trouverez le témoignage d'un acteur ayant quant à lui travaillé à Alma. Voilà donc l'angle que nous avons pris dans notre recherche pour montrer comment les ouvriers d'Alcan ont façonné cette grande région du Québec.

Formation du premier syndicat

 

Tout d’abord, l’usine d’Alcan à Arvida y a été implantée en 1925 en raison du fort potentiel géographique qui s’y trouvait pour l’implantation d’une petite ville et d’une usine d’aluminium. De plus, la proximité des sources d’énergie nécessaires à la fabrication de l’électricité que demande la production d’aluminium en faisait un endroit de choix. De 1925 à 1941, on peut affirmer que les conditions de travail étaient très difficiles chez Alcan. Les travailleurs possédaient peu d’expérience dans la fabrication de l’aluminium et manquaient de formation. De plus, plusieurs employés ont été déployés au front lors de la Seconde Guerre mondiale laissant ainsi les employés restants à l’usine dans l’embarras. De 1927 à 1932, la crise économique a grandement contribué à faire diminuer la production d’aluminium à Arvida engendrant ainsi de nombreuses coupures de personnel. Cependant, l’inverse se produisit entre 1933 et 1939 alors que l’industrie de l’aluminium prit une expansion considérable. En effet, la plus grande demande en aluminium demanda à Alcan de réengager ses employés et de produire beaucoup plus. Les patrons et les dirigeants d’Alcan firent ainsi une grande marge de profit. C’est dans ce contexte économique que les ouvriers d’Arvida décidèrent pour la première fois de demander un meilleur salaire pour le dur labeur effectué en usine. Opprimés par les dirigeants qui faisaient beaucoup d’argent sur leur dos, ils entamèrent les procédures pour la formation du premier syndicat de l’entreprise. En 1936, il y eut d’abord la fondation du syndicat National Catholique de l’industrie de l’Aluminium d’Arvida (SNCIAA). C’était donc un premier pas vers la reconnaissance des conditions de travail des ouvriers. L’année suivante, en 1937, ils signèrent leur première convention collective. L’abbé Philippe Bergeron anima ainsi la première assemblée générale des travailleurs et devint un des premiers acteurs importants dans le mouvement ouvrier d’Arvida. La signature de cette convention apporta aux travailleurs une augmentation de salaire de 25% et une journée de vacance payée par année.

Une première grève

en contexte de guerre

 

Transportons-nous maintenant le 24 juillet 1941 à Arvida lors du déclenchement d’une grève historique pour les travailleurs de l’Alcan. Nous sommes dans un contexte de guerre et l’armée du Canada demande une grande production d’aluminium pour la fabrication de son armement. De plus, des alliés du Canada comme la Grande-Bretagne
 demandent aussi à ce qu’on leur procure de l’aluminium pour la production de leurs armes. Il est aussi très important de comprendre que les travailleurs de l’usine ont déclenché cette grève malgré toute interdiction du gouvernement canadien de Mackenzie King qui souhaitait la production continue de ses usines de guerre.


Plusieurs employés étaient encore insatisfaits de la convention collective de 1937 et n’étaient pas en accord avec les décisions rendues par le syndicat de l’usine. Ils réclamaient donc un meilleur salaire, une abolition de la prime au rendement qui contribuait à fatiguer les travailleurs trop peu nombreux en salle de cuve. Ils trouvaient également que l’autorité des contremaîtres laissait à désirer. Cependant, un point tournant ayant mené à la grève est sans contredit le fait que les conditions de travail y étaient affreuses. La chaleur intense en usine avait contribué à l’émanation de gaz toxiques en provenance des cuves et à l’évanouissement de plusieurs travailleurs augmentant ainsi la charge de travail des autres. L'image ci-dessus montre bien la condition des travailleurs de l'époque dans les salles de cuves.

 

C’est dans ce contexte que les travailleurs prirent le contrôle de l’usine pour changer la situation. Le syndicat n’ayant plus de contrôle sur les employés de plus en plus en colère, le président d’Alcan R.E. Powell contacta Clarence Decatur Howe, le ministre des Munitions et de l’Approvisionnement pour l’aider à prendre la situation en charge. Au troisième jour de la grève, c’est 8 000 travailleurs qui s’étaient mobilisés pour revendiquer leurs droits. Le problème pour le gouvernement canadien était que la production d’aluminium s’était arrêtée et qu’une grande perte risquait de se produire alors que le métal commençait à figer dans les cuves et à menacer les infrastructures de l’usine.

 

Le 27, deux compagnies de soldats de Valcartier arrivèrent sur les lieux, équipées de mitrailleuses et de chars d’assaut et accompagnées de 400 policiers de la Sûreté du Québec. Une assemblée locale fut tenue par les travailleurs durant laquelle le support à la grève fut de : 453 pour et 51 contre.

 

Le 28, un peu après que le maire d’Arvida, Louis Fay, ait lu la « Loi de l’émeute » devant l’usine, les militaires pénétrèrent à l’intérieur. Il y eut d’abord un peu de bousculade, mais les grévistes décidèrent de lever l’occupation pour éviter la confrontation et poursuivirent le piquetage à l’extérieur. La grève se termina le 29 juillet vers 16 heures et les ouvriers reprirent le travail, forcés par l’intervention de l’armée et de la SQ.

 

Cette grève a été victorieuse sur quelques points. Les conditions de travail et le salaire furent significativement améliorés. La lutte menée par les ouvriers renforça la cohésion sociale à Arvida. Aucune arrestation ou mise à pied n’eut lieu en lien avec la grève et aucun équipement de travail n’a été brisé durant l’occupation des travailleurs. Les enquêtes de la Gendarmerie Royale ne permirent de trouver pas un leader, agitateur ou sabotage (Collectif Emma Goldman, 2011).

Deux ans plus tard, en 1943, l’Église se retira du syndicat. Le SNCIAA devint alors le Syndicat national des employés d’aluminium d’Arvida (SNEAA). La période de 1943 à 1950 fut ensuite assez calme. On résume cette période par le fait que le SNEAA est demeuré en place tant bien que mal chez Alcan malgré la concurrence syndicale américaine qui faisait de fortes pressions chez les travailleurs pour le déloger.

 

Exemple de cuves chez Alcan

Un acteur important :

Adrien Plourde

 

De 1950 à 1969, Adrien Plourde devint le président du SNEAA. Il passa ainsi près de 20 ans de sa vie à lutter pour faire revendiquer les droits des ouvriers d’Arvida. Voilà la principale raison pour laquelle cet acteur important doit être considéré dans l’histoire d’Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Lors de son mandat, il contribua grandement à l’évolution des conditions de travail par l’évaluation des tâches, des changements technologiques et l’instauration d’un nouvel équipement plus performant et adapté. Il améliora également les avantages sociaux par des augmentations salariales et de nouveaux régimes de retraite et d’assurance-chômage. Par contre, on ne peut pas passer sous silence la grève de 1957 qui se déroula lors de son mandat. Cette grève portée par les travailleurs dura quatre longs mois! L’enjeu était d’obtenir de meilleures compensations monétaires pour les travailleurs œuvrant dans de mauvaises conditions de travail. Au terme de ces revendications, une entente fut prise entre patrons et syndicats pour mettre fin à cette grève qui durait depuis assez longtemps.

 

1969 à aujourd’hui

 

De 1969 à 1980, c’est au tour de Jean Halley de prendre la place d’Adrien Plourde à la tête du syndicat. Tout d’abord, en 1972, le SNEAA se retire de la CSN pour former la Fédération des Syndicats du Secteur Aluminium (FSSA). Les années 1973 et 1974 furent prospères pour les travailleurs d’Alcan à Arvida qui virent leurs conditions de travail s’améliorer considérablement par des augmentations de salaire généreuses et indexées au coût de la vie. Par ailleurs, leur régime de préretraite fut modifié à leur avantage. Malheureusement, ce bonheur fut éphémère puisque dès 1976, Alcan décida d’effectuer 800 mises à pied sans égard à l’ancienneté d’employés syndiqués des salles de cuve en raison du début d’une crise économique engendrée par l’industrie pétrolière. En résulta alors un lock-out où 5 500 employés décidèrent de cesser la production d’aluminium pour exprimer leur mécontentement. Cette grève entamée le 3 juin ne se termina que le 14 novembre par un règlement instauré par un juge nommé par le ministre du Travail qui souhaitait ainsi mettre fin à la crise. En 1979, trois ans plus tard, le syndicat d’Arvida souhaite éponger la convention collective désastreuse de 1976 en revendiquant de meilleurs avantages sociaux et de meilleurs horaires pour les travailleurs puisque la compagnie a engendré une augmentation de profit de 557% entre 1976 et 1979. Niant les chiffres de la FSSA, les patrons d’Alcan cessèrent les négociations ce qui produit une nouvelle grève chez les travailleurs qui dura encore trois mois. Au mois de septembre, Alcan décida enfin de signer la convention collective présentée par le syndicat pour donner gain de cause aux ouvriers.

 

En 1980, Patrick Rich, président de la Société d’électrolyse et de chimie Alcan (Sécal) mandate son vice-président, Jean Minville pour négocier avec le nouveau président de la FSSA Lévis Desgagnés. En effet, le nombre élevé des grèves effectuées par les ouvriers de l’entreprise au courant des années précédentes avait contribué à faire perdre de la crédibilité à la compagnie et à désintéresser les investisseurs. Les dirigeants d’Alcan étaient donc déterminés à en venir à une entente avec le syndicat pour éviter qu’une telle chose ne se reproduise. En 1983, ils décidèrent d’utiliser la négociation continue et raisonnée en se rencontrant un minimum de deux fois par année dans un esprit de coopération pour éviter les conflits et les arrêts de travail perpétuels. L’objectif était donc le bénéfice mutuel entre les deux camps en favorisant davantage la communication.

 

Cependant, ce processus de décision était beaucoup plus lent et les décisions rendues n’étaient pas toujours satisfaisantes pour les employés d’Arvida. En 1995, les travailleurs d’Alcan déclenchèrent une autre grève qui dura 10 jours et qui engendra des pertes de profit de plus de cent millions de dollars à la compagnie. Les employés ne croyaient plus au mode de décision adopté en 1983 et une coupure de personnel avait créé beaucoup de tension auprès des travailleurs puisque ceux qui demeuraient à leur poste continuaient de faire des heures supplémentaires. Pourquoi l’alliance patronale congédiait-elle des travailleurs alors que les autres devaient redoubler d’efforts ? Voilà pourquoi une entente fut signée en 1998 entre le syndicat et les patrons pour une période allant jusqu’à 2016 afin d’assurer une stabilité opérationnelle de l’usine sans interruption de services. Ainsi, les ouvriers s’entendaient pour utiliser d’autres méthodes de revendications que la grève ou le lock-out. 

 

Pour conclure

 

En 2007, Alcan devint Rio Tinto Alcan. Depuis 1995, les relations de travail à Arvida semblent plus stables que par le passé. Depuis sa formation en 1936, le syndicat de l’aluminium a grandement évolué et différents acteurs ont su mener à bien le droit des travailleurs par différentes luttes et manifestations. Afin de bonifier votre compréhension du mouvement ouvrier chez Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean, nous vous suggérons de consulter la partie de ce site web qui traite de l’expérience de M. Raynald Cossette au sein de cette multinationale comme militant auprès du syndicat. Vous y trouverez une entrevue fort intéressante sur la propre vision d’une personne directement concernée par les enjeux reliés à ce mouvement social. Dans notre société actuelle, beaucoup critiquent les syndicats qui coûtent cher aux employés de grandes entreprises. Pourtant, c’est grâce à eux que nous pouvons travailler sans craindre d’être exploités et que les femmes ont une plus grande place sur le marché du travail. De plus, les syndicats jouent un rôle de médiateur entre patrons et ouvriers afin de favoriser la bonne entente et des solutions gagnantes pour les deux partis. Même si les dirigeants de multinationales comme Alcan sont maintenant mieux conscientisés sur la santé et la sécurité de leurs travailleurs et que les enjeux actuels peuvent sembler moins importants, il faut se rappeler d’où proviennent les mouvements ouvriers pour éviter une rechute des conditions de travail au Québec et c’est pourquoi nous pensons que les syndicats et les revendications ouvrières auront toujours lieu d’être.

 

Les grandes lignes de l’histoire des ouvriers chez Alcan à Arvida ont en majorité été tirées de la source suivante :

Maltais-Tremblay, P. (2015-2016). L’évolution du syndicalisme et des relations de travail chez Alcan au Saguenay Lac-St-Jean de 1937 à 2007 : l’implantation progressive d’une culture de concertation syndicale-patronale. Revue française d’histoire économique, (4-5). Repéré à http://www.uqac.ca/vision2050/wpcontent/ uploads/2016/08/l%C3%A9volution-du-syndicalisme-chez-Alcan.pdf

 

Les sources supplémentaires utilisées se trouvent toutes dans la bibliographie qui se trouve au bas de la page d’accueil de cette étude de cas.