Mouvements ouvriers et syndicaux

 GRÈVE DE L'AMIANTE, THETFORD MINES, 1949

(En cliquant sur les photographies, vous serez redirigé sur la page d'où elles proviennent) 

 

Auteures : Laurence Boldu Marcotte, Mélissa Cribb, Laurie Gosselin, Corinne Vézeau

 

Mise  en contexte historique

 

Vue souterraine d'une mine d'amiante, 1933
Vue souterraine d'une mine d'amiante, 1933

À la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, la demande en amiante est grandissante (Schwartz, 2003). L’Europe ayant été en partie détruite par les conflits, la reconstruction de plusieurs pays dans le continent demande certains matériaux précis, dont l’amiante. Plus près du Québec, au sud du Canada, les États-Unis se préparent à partir de 1947 à un long conflit idéologique et politique avec l’Union des républiques socialistes et soviétiques (URSS), conflit appelé la Guerre froide. Chez nos voisins du Sud, la production d’automobiles ainsi que les constructions de maisons ne cessent d’augmenter. Pour l’industrie de la construction, l’amiante présente des caractéristiques très intéressantes telles que ses propriétés isolantes, sa flexibilité, sa résistance à la tension et à beaucoup de produits chimiques (Santé Canada, 2008). À l’époque, l’amiante est aussi mélangé à plusieurs matériaux, dont le béton, le ciment, la colle et la peinture. Dans les villes de Thetford Mines et d’Asbestos, les mines sont grandement exploitées pour répondre à la demande de l’industrie. Très rapidement, l’amiante devient une ressource naturelle très populaire qui permet à la région de devenir un des producteurs principaux du minerai (Archives de Radio-Canada, 2008).

 

Toutefois, bien que la grande demande enrichisse les principales compagnies anglo-canadiennes ou américaines possédant les mines dans la région, soit l’Asbestos Corporation, la Johnson Company et la Flintkote, les conditions difficiles des ouvriers qui travaillent à extraire l’amiante ne changent pas. De plus, les revenus issus de la production d’amiante atteignent des seuils inégalés et les ouvriers de l’amiante sont persuadés qu’ils ne reçoivent pas leur juste part des profits, d’autant plus que le coût de la vie ne cesse de croître (Schwartz, 2003). Lorsque la Seconde Guerre mondiale finit, les ouvriers de Thetford Mines veulent négocier de nouveaux contrats de travail avec les principaux contremaîtres anglophones des mines.

 

Sur le plan de la politique provinciale, Maurice Duplessis est le premier ministre du Québec de 1936 à 1939, puis reprend le pouvoir de la province de 1944 jusqu’à sa mort, en 1959. C’est donc pendant le mandat de Duplessis que la grève de l’amiante éclate. Ayant une vision conservatrice, Duplessis prône un minimum d’intervention de l’État dans les affaires sociales et économiques. Celui-ci est aussi connu pour encourager le développement de la province par des entreprises privées venant souvent de l’étranger, comme ce fut le cas pour les compagnies d’exploitation minière de Thetford Mines et d’Asbestos. Il est aussi important de mentionner que Duplessis a été connu pour sa façon de percevoir les syndicats. Étant convaincu qu’un système de patronage autoritaire était la bonne façon de gérer une entreprise, Duplessis était défavorable aux syndicats qui, nécessairement, s’opposaient au patronat (Musée québécois de culture populaire, 2012).

 

Au début de l’année 1949, les ouvriers s’apprêtent à demander de nouvelles conditions pour continuer à travailler dans les mines. Bien que les demandes des ouvriers soient raisonnables, celles-ci ne sont pas bien reçues par le patronat. La grève est d’abord déclenchée par 2000 mineurs d’Asbestos le 13 février 1949, à la suite d’un processus d’arbitrage infructueux, puis elle est votée dès le lendemain à Thetford Mines par 3000 mineurs supplémentaires. Le gouvernement Duplessis exige que les grévistes retournent au travail et retire même le certificat d’accréditation aux syndicats visés. Toutefois, la mobilisation persiste jusqu’en juillet 1949. Le conflit prend finalement fin 5 mois après son début, lorsque Mgr Maurice Roy négocie un arrangement entre les compagnies et le syndicat des travailleurs de mines, la CTCC. Les gains à court terme sont assez limités pour les ouvriers de l’amiante, mais la reconnaissance des syndicats leur permettra enfin de renforcer les futures négociations du régime de la convention collective (Schwartz, 2003).

 

De février à juillet 1949, plusieurs événements se passent à Thetford Mines et Asbestos. Dès le lendemain de la grève, le gouvernement de Duplessis déclare déjà celle-ci comme illégale. Quelques jours plus tard, le 19 février, la police provinciale arrive pour contrôler les grévistes. Pour en connaître davantage au sujet des événements marquants de la grève, le Centre d'archives de la région de Thetford a fait une recension chronologique des événements entre janvier et juillet 1949. Il suffit de cliquer sur le lien ci-dessous pour consulter le document :

http://www.sahra.qc.ca/exposition/chronologie.html

 

Vue souterraine d'une mine d'amiante, 1933
Vue souterraine d'une mine d'amiante, 1933

Le mouvement ouvrier et syndical

 

Grève des ouvriers de l'amiante, 1949
Grève des ouvriers de l'amiante, 1949

Il est possible de dire que la grève de l’amiante de Thetford Mines de 1949 s’inscrit dans l’histoire comme un mouvement social pour plusieurs raisons. Au départ, un mouvement social se définit comme étant une « organisation nettement structurée et identifiable, ayant pour but explicite de grouper des membres en vue de la défense ou de la promotion de certains objets précis, généralement à connotation sociale » (Rocher, 1995, cité dans Gélineau, 2014). À l’époque du conflit, les ouvriers, les principaux acteurs de la grève étaient regroupés dans une organisation structurée qui était identifiée comme étant le principal syndicat pour les travailleurs dans les mines, la CTCC. À l’intérieur de la CTCC, les postes et les actions à prendre sont définis de manière démocratique. En 1946, Gérard Picard est élu comme président de la CTCC et dirige le syndicat avec brio selon ses collègues. Des délégués sont élus pour prendre part aux négociations avec le patronat et la grève est votée par les travailleurs avant d’être entamée (Clavette, 2005). Le but de la CTCC est alors de regrouper le plus de travailleurs de mines pour revendiquer ensemble de meilleures conditions de travail. Pendant le conflit, la CTCC est aussi très active sur la place publique. De nombreuses manifestations ont lieu dans les rues de Thetford Mines. Les ouvriers se promènent avec des pancartes et revendiquent haut et fort les demandes qu’ils font aux compagnies d’exploitation minière présentes sur le territoire. Le mouvement des ouvriers gagne peu à peu des adhérents. Puisque les ouvriers n’ont plus de salaire pour faire vivre leur famille, la population se mobilise rapidement pour envoyer des vivres. En plus de la population en général, plusieurs groupes de personnes se rallient à la cause des travailleurs des mines de Thetford Mines et d’Asbestos. Lors de la grève, la CTCC se dissocie du gouvernement de Duplessis et peu à peu de l’Église catholique. Les moyens utilisés par la CTCC pour revendiquer de meilleures conditions sont diversifiés : grèves, manifestations, pressions auprès du gouvernement, etc. Bien que les gains finaux de la grève soient minimes, le mouvement est encore bien connu aujourd’hui. Cela dit, la grève de l’amiante constitue un événement phare qui a marqué la société québécoise. Elle représente un maillon considérable dans la rupture amorcée entre l’Église et l’État québécois, ainsi que dans l’émergence d’un mouvement syndical laïque (Schwartz, 2003). Pour ces diverses raisons, il est donc possible de dire que la grève de l’amiante de 1949 peut se définir comme un mouvement social.

Identité du mouvement

 

Maurice Duplessis (gauche) et Monseigneur Charbonneau (droite), 1946
Maurice Duplessis (gauche) et Monseigneur Charbonneau (droite), 1946

À partir de la fin des années 1930, les syndicats sont présents dans les mines d’amiante de Thetford Mines. À l’époque, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) était le syndicat qui s’occupait des ouvriers dans les mines. Pour attirer le vote des travailleurs de l’amiante lors de l’élection de 1936, Duplessis parle d’améliorer les conditions de travail et de sécurité dans les mines (Schwartz, 2003). Pourtant, les années passent et les changements sont peu nombreux. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les ouvriers mettent de côté leurs demandes pour satisfaire les nombreuses exigences du patronat liées à la demande croissante d’amiante au Québec. À la fin du conflit, les ouvriers commencent à déplorer de nouveau leurs conditions de travail. Puisque le patronat est dans un contexte de prospérité, les travailleurs pensaient pouvoir régler le problème des mauvaises conditions assez rapidement. En 1948, les ouvriers des mines de Thetford Mines et d’Asbestos revendiquent avec la CTCC plusieurs changements aux compagnies présentes dans les deux villes. En plus d’une augmentation salariale, les travailleurs revendiquent un régime de retraite adéquat, la retenue de cotisations syndicales sur leur salaire par l’employeur, une protection contre les poussières d’amiante et le droit de se prononcer sur l’embauche des contremaîtres (Schwartz, 2003). Le but de ces revendications était donc l’amélioration de leurs conditions de travail, mais aussi d’avoir le droit de donner leur avis sur leurs futurs dirigeants. Ayant des rapports difficiles avec le patronat, les ouvriers voulaient remédier à ce problème en prenant plus de responsabilités au sein des compagnies qui exploitaient l’amiante à Thetford Mines.

Forces sociales en présence

 

Alliés de la grève, 1949
Alliés de la grève, 1949

Dans le contexte de la grève de l’amiante, une force sociale est considérée comme des personnes, des institutions ou des groupes. Celle-ci est tenue en compte dans le mouvement ouvrier et syndical soit comme obstacle à l’atteinte des objectifs, soit comme ressource à mobiliser (House, 1925, cité dans Gélineau, 2014). Les ressources se trouvent dans la partie nommée "alliés" et les obstacles se trouvent dans la partie nommée "antagonistes". De plus, la force sociale est en relation plus ou moins directe avec la lutte. Par contre, elle influence directement les personnes mobilisées vis-à-vis du mouvement.

 

 Alliés

 

► Le Clergé

Une partie du clergé de l’époque s’est positionnée en faveur de la grève de l’amiante à Thetford Mines. Mgr Charbonneau et Mgr Roy ont été les deux visages marquants en ce qui concerne l’appui par le clergé. En effet, Mgr Charbonneau prit la parole en demandant aux autorités d’établir un code de travail. Celui-ci réclamait plus de paix, de justice et de charité à l’égard des ouvriers. De plus, les curés de son diocèse invitaient la population à donner pour aider les familles touchées par la grève de l’amiante. Au total, ils amassèrent une somme de 167 558,24 $. Quant à Mgr Roy, il fut un précieux allié pour le mouvement ouvrier. En effet, celui-ci devint le médiateur entre les grévistes et leur opposition. C’est grâce à cet événement que la grève prit fin, quatre mois suivant son commencement (Guay, s.d.; SAHRA, s.d.).

 

► La population québécoise

Une majorité de la population québécoise fut interpelée par la grève des ouvriers de Thetford Mines et d’Asbestos. Un grand sentiment de solidarité s’est déployé sur le Québec en entier. Beaucoup de vivres et d’argent ont été envoyés dans la région de l’amiante afin d’aider les familles sans revenu en raison de la grève. Au total, Asbestos et Thetford Mines reçurent des vivres égalisant la somme de 75 000,00 $ (SAHRA, s,d,).

 

► Le mouvement syndical

Le mouvement syndical vient en appui au mouvement ouvrier afin que celui-ci acquière de meilleures conditions de travail. Le mouvement ouvrier s’est allié au mouvement syndical en ce qui concerne le salaire des employés des mines. Aussi, pour règlementer les compagnies afin de produire moins de poussières d’amiante. Enfin, pour obtenir des congés décents et payés. Le mouvement syndical vint appuyer le mouvement ouvrier notamment par l'intermédiaire du Front commun des organisations syndicales (Lamarche, 2009).  

 

► Les étudiants de l’Université de Montréal et de l’Université Laval

Les étudiants de ces deux universités sont venus en aide aux ouvriers en amassant des fonds auprès des populations pour ensuite les envoyer aux familles. En ajoutant tous les montants qui ont été envoyés aux grévistes à ces fonds créés par les étudiants, la somme équivaut à 27 708,61 $ en dons individuels (SAHRA, s.d.).

 

 

► Le journal Le Devoir

Le journal s’est vite positionné en faveur de la grève de l’amiante. Ce fut d’une aide précieuse pour le mouvement ouvrier de l’époque puisque les publications dans Le Devoir permirent à la population québécoise d’être au courant de la grève. De plus, les informations transmises par le journal offraient un point de vue différent de celui du gouvernement et des policiers (Archives de Radio-Canada, 1974; SAHRA, s.d.).

 

 

► Le groupe artistique des Automatistes

Ce groupe artistique se positionna en faveur de la grève de l’amiante. Cet appui était la suite logique du Refus global, publié en 1948. Effectivement, ce manifeste dénonçait entre autres les abus du gouvernement Duplessis. Ainsi, il était primordial pour les automatistes d’appuyer les grévistes afin de contester le gouvernement de l’époque (Lamarche, 2009).

 

► Le Congrès canadien du travail

Le Congrès canadien du travail fit une alliance avec les travailleurs en grève et leur envoya une somme de 7 683 $ afin de les aider. Aussi, les grévistes se sont unis avec le Congrès des métiers qui leur envoya 6 413,41 $ (SAHRA, s.d.).

 

► La Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC)

La CTCC, maintenant devenue la Confédération des syndicats nationaux, permit aussi aux travailleurs de subvenir à leurs besoins malgré la grève. En effet, elle offrit 300 014,52 $ aux travailleurs en grève (SAHRA, s.d.).

 

► Les cultivateurs

Beaucoup de cultivateurs de la région de Québec se sont positionnés en faveur de la grève de l’amiante. Ayant eux-mêmes de plus ou moins bonnes conditions de travail, ils se sont sentis interpelés par le cri d’alarme des travailleurs à Thetford Mines. Plusieurs d’entre eux ont envoyé des vivres de leur récolte afin de permettre aux ouvriers et à leur famille de se nourrir (Schwartz, 2003).

 

 

 

 Antagonistes

 

▶ Les briseurs de grève

Les briseurs de grève étaient des personnes engagées par les compagnies minières afin de remplacer les grévistes. Ces personnes faisaient le travail que les ouvriers ne voulaient plus faire. Ainsi, les compagnies pouvaient rester ouvertes malgré la grève et ne perdaient pas d’argent. Cependant, les briseurs de grève ont été présents à Asbestos et non à Thetford Mines (Archives de Radio-Canada, 1974).

 

▶ Le gouvernement Duplessis

Le gouvernement qui était en place lors de la grève de l’amiante était celui de Maurice Duplessis. Quelques mois avant le déclenchement de la grève, le gouvernement instaura le bill 5 qui s’inspirait d’une loi anti-ouvrière. Lors de la grève, les membres de ce gouvernement se sont positionnés en faveur des compagnies minières plutôt qu’en faveur des ouvriers. La position du gouvernement ne fut pas étonnante étant donné leur forte opposition envers le syndicalisme. Ainsi, Duplessis envoya les forces policières aux entrées des mines afin de dissoudre la solidarité des travailleurs. De plus, il déclara que la grève menée par les ouvriers était illégale. D’ailleurs, la majorité des grèves de l’époque était considérée comme illégale (Guay, s.d.; SAHRA, s.d.).

 

▶ Les policiers

Les forces policières envoyées par le gouvernement Duplessis ont utilisé la violence et la brutalité lors de la grève de l’amiante. Cependant, l’agressivité des policiers fut plus forte à Asbestos qu’à Thetford Mines. Ces événements ont fait plusieurs blessés et un décès (Guay, s.d.). 

 

▶ Le patronat

Évidemment, les patronats des compagnies minières n’étaient pas pour la grève de l’amiante. Les demandes des travailleurs, si acceptées, allaient leur faire perdre beaucoup de profits. De plus, des conditions sécuritaires de travail entraîneraient de lourdes dépenses. C’est entre autres pourquoi ils ont voulu engager des briseurs de grève qui étaient prêts à travailler dans les conditions d’avant grève (SAHRA, s.d.). 

Façonnement du territoire

 

Ville de Thetford Mines, (s.d.)
Ville de Thetford Mines, (s.d.)

Dans le cadre du cours Forces et mouvements sociaux au Québec, nous avons animé un séminaire en classe qui portait sur la grève de l’amiante à Thetford Mines. Une des activités réalisées avec les participant-e-s est un photo-langage. Nous leur avons demandé de déterminer, à partir de leur savoir personnel, comment le mouvement social dans lequel s’inscrit la grève de l’amiante a façonné le territoire de Thetford Mines, en s’inspirant d’une des photographies mises à leur disposition. Afin d’illustrer le façonnement, nous nous sommes inspirées de certains éléments signalés par les étudiant-e-s lors de cette activité (Tableau 1). D’ailleurs, plusieurs aspects relevés s’avèrent très pertinents, car ils rejoignent ce que nous avons lu dans la littérature et entendu dans certains témoignages.

 

Tableau 1. Les éléments mentionnés par les étudiant-e-s lors de l'activité du photo-langage sur le façonnement de Thetford Mines par la grève de l'amiante.

   

Conditions de travail difficiles

   

Appel à l'aide

Répercussions familiales Profits

 

Maladie nocive

 

Pollution  Besoins   primaires  Pas de support social = besoin de se battre Ensemble = force 

 

Exploitation de la main d’œuvre

 

Misère des familles

Artistes = la voix du peuple

Cri d'alarme

 

La famille = une force en soi

 

 Capitalisme
Solidarité Yeux Néolibéralisme

 

Dévitalisation des régions

 

 Moins en moins de syndicats

 

Faire avaler

la pilule

 

Clergé

(rôle à jouer)  

Misère Domination

Isolement

Lors de la grève, un grand mouvement de solidarité est effectivement né. Partout à travers la province, le conflit de l’amiante a provoqué un élan de générosité parfois même décrit comme étant sans précédent (Rouillard, 1999). Cette solidarité s’est d’abord manifestée sur le plan local entre les grévistes, mais aussi entre les familles, par des relations basées sur l’aide mutuelle. À cet effet, les deux extraits suivants, tirés du documentaire « ’49, un souffle de colère » (Bissonnette, 1996), nous semblent très évocateurs :

 

« Pour dire qu’[il] y avait de la solidarité là, [il] y en avait, c’était pas croyable. Les gars, des fois, [il] y en avait qui commençait à vouloir flancher un peu là, on faisait une réunion. On avait Marchand qui venait à ce moment-là pis y donnait une bonne piqûre (discours). Y’était bon pour ça. Y’avait une grande salle là, ça se remplissait ben plein, quand les gars partaient là ça criait. On partait sur un bon chemin là, tout se replaçait. » Lionel Dion

 

« Y’a eu des parades de faites, des chapelets qui se disaient. Les femmes ont même fait une procession aussi. Euh toute sorte de démons… mais […] toutes ces choses-là, ensemble, c’était pour maintenir l’esprit de groupe et pis l’espérance aussi, parce qu’à mesure que les mois passaient, les temps devenaient très difficiles. » Armand Therrien

 

Ces témoignages nous font prendre conscience de l’importance que revêt la solidarité dans de telles circonstances. D’ailleurs, nous pensons qu’elle est probablement encore présente aujourd’hui au sein de la communauté. De plus, la parole de ces hommes nous éveille également à la dure réalité d’une grève dans la vie des familles qui le vivent de l’intérieur, car il est parfois facile de ne considérer qu’un seul côté de la médaille.

 

Bien que le sentiment de fraternité animant la population thetfordoise nous semble un aspect considérable dans son façonnement, les trois témoignages suivants nous donnent, en revanche, l’occasion de constater un certain isolement qui émane de cette lutte à travers différentes facettes :

 

« Les grévistes sont seuls au monde : 
ils ont contre eux la police, la loi, la compagnie, le gouvernement et une partie de l'opinion publique. »
 s.a. (extrait du reportage de Gendron & von Hlatky, 1999)

 

« Nous autres, la révolution sociale au Québec, on se foutait de ça comme de l’an 40. Nous autres, on se trouvait ben dans notre petit village. Moi, le problème c’est que je voulais avoir une piasse de l’heure. C’était ça qui était l’enjeu du conflit. Une piasse de l’heure pis des guidis, des vacances, des affaires de même. » Jean-Jacques Lafontaine (extrait du reportage de Gendron & von Hlatky, 1999)

 

« Entré à la mine d’amiante à l’âge de 16 ans, il est ressorti 40 ans plus tard, jeté à la rue par une fermeture sauvage, brutale, sans appel. À moitié dilapidé par la faillite de l’entreprise, son fond de retraite lui permet à peine de survivre. D’anciens compagnons de travail, fatigués, malades, n’ont pas eu la force de combattre et se sont enlevé la vie. Il se sent trahi, rejeté, inutile. Son regard est sombre, son avenir obscurci. Heureusement, une travailleuse sociale l’accompagne dans ses démarches et lui apprend à puiser en lui-même la force nécessaire pour continuer de croire en lui et se battre pour une place au soleil. » (OTSTCFQ, 2014)

 

D’un côté, le portrait de l’époque : des ouvriers, bien enracinés dans leur communauté, qui luttent contre une grosse machine (gouvernement, compagnies, lois, policiers, etc.) pour un salaire décent et quelques avantages sociaux. De l’autre, celui d’aujourd’hui : des hommes désillusionnés et laissés pour compte par cette industrie autrefois prospère dans laquelle ils ont tout donné, y compris leur santé. Nous supposons que cette situation touche des milliers d’habitants des régions périphériques du Québec qui ont aussi pris part à de nombreuses luttes à travers le mouvement syndical. Comme Thetford Mines, plusieurs autres villes et villages du Québec se sont développés pendant de nombreuses années sur la base d’une seule industrie. Aujourd’hui, des compagnies ferment leurs portes et plusieurs régions périphériques peinent à diversifier leur économie, ce qui entraîne des taux de chômage et de pauvreté élevés, ainsi qu’une dévitalisation des communautés (Bouchard, 2013).

Photo-langage, séminaire en classe, 2014

Clés pour l'intervention sociale

Faire des ponts avec notre future pratique

 

 

Pistes pour l'intervention sociale individuelle et collective

 

Comme le signale Rouillard (2004), le syndicalisme s’avère « un contrepoids indispensable pour élever le niveau de vie des salariés, améliorer leurs conditions de travail et résister à l’arbitraire patronal ». Le mouvement syndical, un acteur qui dénonce la discrimination et les injustices avec lesquelles sont aux prises les travailleurs, est une réponse à la société capitaliste. Ainsi, pour les intervenantes sociales, des liens peuvent être faits entre leur pratique et les conditions de travail des personnes rencontrées, en ce sens que les ponts créés permettent « d’élargir leurs possibilités d’action » en associant des « problèmes individuels à des enjeux collectifs » (Turcotte, 1990). En effet, les milieux non syndiqués constituent souvent des ghettos d’emplois sous-payés, dont les postes sont généralement occupés par des femmes. De plus, on évoque fréquemment l’existence du nouveau visage de la pauvreté (Fortier, 2014ab), soit celui des ménages dont les deux parents travaillent et qui ont de la difficulté à arriver financièrement. Cette précarité peut causer des effets néfastes chez les familles sur le plan de la santé physique et mentale, de la scolarité des enfants et du logement (Gaudreau, 2013). Dans ce contexte, l’approche des capabilités telle qu’abordée par Nussbaum (2012) propose un éclairage inspirant pour appréhender l’intervention. Ainsi, au-delà des « caractéristiques d’une personne (les traits de sa personnalité, ses capacités intellectuelles et émotionnelles, son état de santé physique, ce qu’elle sait, ses capacités perceptives et motrices) » se trouve « la totalité des possibilités dont elle dispose pour choisir et agir dans sa situation politique, sociale et économique particulière » (Nussbaum, 2012). Par exemple, les travailleurs d’un établissement peuvent présenter une solidarité interne et une capacité de mobilisation nécessaires à leur syndicalisation, mais voir leurs efforts anéantis par un employeur qui privilégie le profit. Les échecs de syndicalisation chez Wal-Mart illustrent clairement ce cas (Desjardins, 2013). En revanche, il est possible qu’une personne vivant de l’oppression au travail ait l’espace disponible pour entamer une démarche de syndicalisation, mais qu’elle n’ait pas développé ses capacités de pensée critique, de s’exprimer en public et de rallier les troupes lui permettant de diriger une telle opération. D’où l’importance comme futures intervenantes de travailler à la fois sur deux éléments interdépendants : les causes structurelles et le potentiel individuel des personnes.

 

Dans cette optique, la pratique des organismes d’éducation populaire et de défense des droits des travailleurs non syndiqués comme « Au bas de l’échelle » est très inspirante pour accompagner des personnes qui vivent des injustices dans leur milieu de travail. Plus spécifiquement, les intervenants de l’organisme renseignent les individus sur les normes du travail et le processus de syndicalisation, en plus de les encourager « à faire respecter leurs droits, à se regrouper et à s’impliquer socialement pour améliorer leurs conditions de travail et de vie » (Au bas de l’échelle, 2014). Des actions politiques pour la défense et l’amélioration des droits des travailleurs sont aussi réalisées, ainsi que des participations à des consultations publiques les concernant. Ainsi, à travers une pratique d’organisation communautaire s’inscrivant dans une approche sociopolitique, les intervenants appuient les travailleurs dans la résolution de problèmes sociaux par la défense et la promotion de leurs droits (Bourque & ses collaborateurs, 2007). À cette dimension plus collective de l’intervention est intimement lié l’aspect du développement de l’empowerment individuel, lequel viendra renforcer la participation, les compétences, l’estime de soi et la conscience critique des membres du groupe (Ninacs, 2008).

 

Une vie minée, tirée du projet TURBULENCES - Photographe : Maxime Leduc, 2014
Une vie minée, tirée du projet TURBULENCES - Photographe : Maxime Leduc, 2014
Une vie minée, tirée du projet TURBULENCES - Photographe : Maxime Leduc, 2014
Une vie minée, tirée du projet TURBULENCES - Photographe : Maxime Leduc, 2014

 

Les capabilités centrales

 

Comme mentionné précédemment, les capabilités incarnent des balises pertinentes pour penser l’action dans un esprit de justice sociale. Nussbaum (2012) propose dix capabilités centrales qui sont essentielles pour atteindre « une vie humainement digne » : la vie, la santé du corps, l’intégrité du corps, les sens, l’imagination et la pensée, les émotions, la raison pratique, l’affiliation, les autres espèces, le jeu, ainsi que le contrôle sur son environnement politique et matériel. Afin de faire un parallèle avec le cas à l’étude, nous allons illustrer par des exemples comment certaines capabilités des ouvriers ont été directement ou indirectement affectées par leurs mauvaises conditions de travail, ainsi que par les traitements subis lors de la lutte syndicale qu’ils ont menée. À noter que la méthode de comparaison employée est inspirée du rapport de recherche « Vieillir dans la rue » (Gélineau, 2013) et que tous les témoignages cités sont tirés du documentaire « '49, un souffle de colère » (Bissonnette, 1996). À cet effet, la plupart des personnes présentées dans le documentaire proviennent d’Asbestos. Même si notre histoire de cas porte sur la grève de l’amiante à Thetford Mines, nous choisissons d’utiliser ce matériel pour deux raisons : 1) plusieurs travailleurs de Thetford Mines se sont rendus à Asbestos pour appuyer leurs confrères sur les piquets de grève et 2) plusieurs des situations décrites s’appliquent également aux ouvriers de Thetford Mines.

 

▶ La vie

 

« Être capable de mener sa vie jusqu’au terme d’une vie humaine de longueur normale; ne pas mourir prématurément, ou avant que sa vie ne soit tellement réduite qu’elle ne vaille plus la peine d’être vécue » (Nussbaum, 2012).

 

L’exposition à des quantités de poussières ou de produits chimiques excédant les normes augmente la probabilité de mourir prématurément chez les travailleurs.

 

« Les compagnies, elles le savaient que c’était dangereux de travailler dans la poussière, c’est eux autres qui ont payé de leur poche des études en 39, 40, 42, 45. T’as les rapports là, qui disent que ça causait la tuberculose, ça causait des maladies énormes des poumons, et puis, c’est eux autres qui ont payé l’étude, ils avaient des rapports entre les mains, pis y voyaient crever les gars, pis ils ne faisaient rien. » Nazaire Paquet

 

« Môman, quand elle est tombée malade, elle a été six ans malade […], c’était [à cause de] l’amiante, mais on était tellement pris, il y avait seulement que ça comme ouvrage à Asbestos, qu’elle est rentrée pareil travailler. » Jeannette Pinard

 

« Ils ont toujours nié qu’on a eu l’amiantose, mais à l’heure actuelle, l’amiante là, m’a bloqué le poumon gauche. En bloquant le poumon gauche, ça a formé une tumeur, une tumeur pour un poumon, c’est un cancer, parce que ça ne s’opère pas et puis là, ça s’étend. En plus, ils ont pratiqué une biopsie pour aller chercher un morceau en dedans et puis en passant, ils ont ramassé de l’amiante. » Paul Pelletier

 

« Sauver sa peau ou bien crever, vive le syndicat! » paroles de chanson, Bertrand Pinard

 

▶ La santé du corps

 

« Être capable d’être en bonne santé; être convenablement nourri; avoir un abri décent ». (Nussbaum, 2012).

 

La santé des travailleurs de l’amiante a pu être affectée par l’exposition à des éléments toxiques, comme discuté précédemment. Elle a aussi pu être compromise de façon indirecte, lorsque l’absence de revenu des grévistes limitait leur capacité à s’alimenter adéquatement.

 

« Môman faisait l’ouvrage des poches [d’amiante] là, pis j’allais porter son dîner […] puis il y avait tellement de poussières que d’ici au mur là-bas, on [ne] distinguait pas la personne. » Jeannette Pinard

 

« Le monde sortait de là, quand ils travaillaient […] quel que soit l’habillement que t’avais, c’était gris, tu venais couvert d’amiante, les ventilateurs, ça n’existait pas, des prises d’air, d’aspiration, t’avais rien de ça, tu filais de l’amiante, ben coudonc, il y avait de la poussière d’amiante qui se détachait, quand tu fabriquais du papier d’amiante, tu versais des poches d’amiante, il n’y avait aucune protection. » Armand Therrien

 

« À la maison, m’a dire comme on dit des fois, les enfants commençaient à manger des sandwichs plus souvent qu’à leur tour, fac là, il n’y était pas question de viande pis de steak. » Paul Pelletier

 

« On n’avait pas d’argent, il (son mari) n’[en] amenait pas souvent non plus. » Yvonne Dion

 

▶ L’intégrité du corps

 

« Être capable de se déplacer librement de lieu en lieu; d’être protégé contre une attaque violente, agression sexuelle et violence domestique comprises; avoir des possibilités de satisfaction sexuelle et de choix en matière de reproduction » (Nussbaum, 2012).

 

L’intégrité du corps a pu être atteinte par les actes brutaux commis par les policiers lors de la grève de l’amiante.

 

« La colère grondait pis très fort, et il commençait à y avoir de la violence. » Jean-Paul Geoffroy

 

« La police est entrée là [dans l’église], ils ont arrêté tout le monde, ils ont battu des gens là, c’était épouvantable. » Jean-Paul Geoffroy

 

« Ils m’ont amené dans une petite chambre, il me rentre là, pis y rebarre la porte […] un moment donné, il en est arrivé deux, ils ont dit : où est-ce que tu étais hier? Hier, je suis partie pour descendre à Asbestos, j’ai dit la vérité […] on s’est fait arrêter par les polices, on a reviré de là, les polices ont tiré sur nous autres. En disant les polices ont tiré sur nous autres, ils ont tiré sur le char […] il y en a un [qui me dit] : mon tabarnak de menteur! Il s’élance et me maudit un coup de poing sur le bord de la gueule […] quand j’essayais de me parer la face, ben l’autre, il me maudissait un coup de garcette dans les côtes, c’est pour ça qu’elle (sa femme) dit que j’avais des bosses […] d’un côté, ils avaient des garcettes eux autres. » Alphonse Vallières

 

« Ils m’ont passé au bat […] un moment donné, il y en a un qui m’a fendu la tête : il y avait un mur double pis j’ai traversé le mur, la tête est sortie de l’autre bord, mais les épaules n’ont pas passé. » Gérard Chamberland

 

▶ Les sens, l’imagination et la pensée

 

« Être capable d’utiliser ses sens, d’imaginer, de penser, de raisonner, et de faire tout cela d’une manière « vraiment humaine », une manière informée et cultivée par une éducation adéquate […]. Être capable d’utiliser l’imagination et de penser en lien avec l’expérience et la production d’œuvres et d’évènements de son propre choix, religieux, littéraires, musicaux, etc. Être capable d’utiliser son esprit en étant protégé par les garanties de la liberté d’expression, tant pour le discours politique et artistique que pour la liberté de culte. Être capable d’avoir des expériences qui procurent du plaisir et d’éviter les peines inutiles » (Nussbaum, 2012).

 

La grève de l’amiante de 1949 a généré beaucoup de souffrance et de douleur au sein de la population, ce qui a pu perturber les sens, l’imagination et la pensée.

 

« Une grève, ça laisse toujours des cicatrices. » une dame du club de peinture et d’aquarelle d’Asbestos

 

« Tout le monde en a souffert, fac c’est des choses qu’on ne souhaite pas à personne, pis qu’on essaie d’oublier, mais il y a des moments qu’on n’oublie pas. » une dame du club de peinture et d’aquarelle d’Asbestos

 

▶ Émotions

 

« Être capable de s’attacher à des choses et des gens autour de nous; d’aimer ceux qui nous aiment et qui s’occupent de nous, de regretter leur absence; de manière générale, être capable d’aimer, de regretter, d’expérimenter la nostalgie, la gratitude, la colère légitime. Ne pas voir son développement émotionnel contraint par la peur et l’angoisse. (Défendre cette capabilité signifie soutenir des formes d’associations humaines qui sont cruciales pour le développement.) » (Nussbaum, 2012).

 

La capabilité des émotions a pu être compromise par le climat de peur et d’angoisse lié à la forte répression policière pendant la grève de l’amiante.

 

« C’était comme la guerre, il y avait des policiers, il y a tout eu, des matraques […] c’était pas un jeu d’enfants, quand tu vois ça avec tes yeux d’enfant là […], quand tu dis que les adultes ne pouvaient même pas sortir en sécurité à moins qu’ils soient accompagnés d’un enfant, que ce soit qui que ce soit. » une dame du club de peinture et d’aquarelle d’Asbestos

 

« [le curé] a été sur la ligne de piquetage pis il a dit aux gars : la police provinciale s’en vient, les gars (les policiers) sont à moitié saouls, ils vont peut-être tirer sur vous autres, il va peut-être y avoir des morts… fac y dit : le seul conseil que j’ai à vous donner, allez-vous-en chez vous, laissez toutes vos affaires ici, les bâtons, les roches, toute la patente, laissez tout ça icitte, pis allez-vous-en chacun chez vous. » Paul Pelletier

 

« Ils m’amènent à l’Hôtel Iroquois, dans ce temps-là, c’était leur quartier général là eux autres, pis là, ils commencent à me questionner : connais-tu un tel, pis connais-tu l’autre tel […]? Je ne connaissais pas personne, il a dit : t’es un maudit menteur! Paul Hervieux, lui, il s’est mis à me questionner le poing sur le nez, fac quand j’ai vu ça, j’ai fait trois-quatre pas de reculons assez vite… [il m’a dit] : t’as peur mon petit christ? Ben j’ai dit : écoutez, à grandeur que vous avez, pis à la grosseur que vous avez, pis moi, tout petit comme je suis là… [il m’a dit] : ferme ta gueule! Correct, fac j’ai fermé ma boîte, pis là, il continuait à me passer le poing sur le nez… [il m’a dit] : pis tu vas me dire qui c’est qui était avec toi? Pis il continuait à me frotter le poing sur le nez. » Paul Pelletier

 

▶ La raison pratique

 

« Être capable de se former une conception du bien et de participer à une réflexion critique sur l’organisation de sa propre vie. (Cela suppose la protection de la liberté de conscience et du culte.) » (Nussbaum, 2012).

 

Avec l’idéologie véhiculée par le gouvernement Duplessis, la raison pratique des grévistes a pu être contrainte par la condamnation publique de leur vision du monde.

 

« On était accusés d’être des communistes parce qu’on était contre les profits des compagnies. » Jean-Paul Geoffroy

 

« Les unions, c’est le désordre; l’anarchie, c’est le communisme. » Maurice Duplessis

 

▶ L’affiliation

 

A) « Être capable de vivre avec et pour les autres, de reconnaître et d’être attentif à d’autres êtres humains, de prendre part à différents types d’interactions sociales; être capable d’imaginer la situation d’autrui. (Protéger cette capabilité signifie protéger des institutions qui constituent et nourrissent de telles formes d’affiliation, et aussi protéger la liberté d’assemblée et de discours politique.) » (Nussbaum, 2012).

 

La capabilité de l’affiliation était limitée lorsque les policiers empêchaient les individus de se regrouper pacifiquement.

 

« On était avertis là : pas de rassemblements à nulle part, même pas dans les salles de pool. Pis là, dans les salles de pool, il y en avait une couple qui étaient sortis par le châssis, quand ils ont vu venir la police, tout le monde qui était en dedans, ils [s]ont sortis par le châssis de la chambre de bain pour sortir dehors […], la police est entrée par la porte d’en avant, ils en ont ramassé pareil parce que ce n’est pas tout le monde qui a eu le temps de sortir. » Bertrand Pinard

 

B) « Avoir les bases sociales du respect de soi et de la non-humiliation; être capable d’être traité avec dignité et dont la valeur est égale à celle des autres. Cela suppose des dispositions pour interdire les discriminations fondées sur la race, le sexe, l’orientation sexuelle, l’ethnicité, la caste, la religion, l’origine nationale » (Nussbaum, 2012).

 

La capabilité de l’affiliation a aussi pu être touchée par la discrimination que subissaient les travailleurs de l’amiante francophones par leurs supérieurs en raison de leur origine et de leur classe sociale.

 

« Les gens avaient quasiment toujours enduré des conditions de travail assez souvent qui ressemblaient à de l’esclavage, des préférences au travail pour les quelques […] 10 % d’Anglais ici là, […] tout runnait en anglais, tous les Anglais avaient les meilleures jobs, et après ça, on [engageait] les Canadiens-français comme des espèces de nègres blancs pour remplacer les trous. » Rodolphe Hamel

 

« C’était une compagnie américaine, Johns-Manville Corporation […], la haute gérance a toujours été de langue anglaise. » Armand Therrien

 

« Les contremaîtres, c’étaient tous des Anglais. Les Français, il n’y en avait pas de contremaîtres, on se comprend là, les Français, ils les trouvaient trop travaillants, ils les gardaient pour travailler. » Bertrand Pinard

 

« La classe ouvrière est victime d’une conspiration qui veut son écrasement, voici pourquoi le clergé a décidé d’intervenir, il veut faire respecter la justice et la charité et il désire que l’on cesse d’accorder plus d’attention aux intérêts d’argent qu’à l’élément humain. » extrait écrit du documentaire

 

▶ Le contrôle sur son environnement

 

A) Politique : « Être capable de participer efficacement au choix politique qui gouverne sa vie; avoir le droit de participation politique, la protection du libre discours et de la libre association » (Nussbaum, 2012).

 

La capabilité du contrôle sur son environnement politique a pu être affectée puisque la liberté de libre association était menacée par le gouvernement en place.

 

« Quand j’ai vu l’ampleur que ça prenait, après que Jean Marchand [soit] venu nous retrouver, pis qui nous avait dit que Monsieur Duplessis avait décidé de nous enlever notre accréditation syndicale, [donc qu’]on n’était plus syndiqués, il a dit : là, ça [ne] marche pas votre affaire, il vous a enlevé votre accréditation, pis là, il vous menace par la police provinciale, il a dit : si dans une semaine la grève n’est pas réglée, vous n’acceptez pas les offres de la compagnie, la police provinciale s’en vient à Asbestos. » Paul Pelletier

 

« Les négociations, ça ne fonctionnait pas, on était sur la pression et peut-être que notre impression était bonne, la CTCC dans le temps prenait beaucoup de place, pis avec le gouvernement qu’il y avait dans le temps, le gouvernement Duplessis là, il voulait absolument jeter le mouvement à terre parce qu’il trouvait qu’il prenait trop de place. » Lionel Dion

 

B) Matériel : « Être capable de posséder (terres et biens meubles), et jouir de droits de propriété sur une base égalitaire avec les autres; avoir le droit de chercher un emploi sur une base égalitaire avec les autres; être protégé contre les perquisitions et les arrestations arbitraires. Dans son travail, être capable de travailler comme un être humain, d’exercer ses raisons pratiques et d’entrer dans une relation sensée de reconnaissance mutuelle avec les autres travailleurs » (Nussbaum, 2012).

 

La capabilité du contrôle de son environnement matériel a pu être contrainte par des arrestations arbitraires et par l’absence de reconnaissance des ouvriers dans leur milieu de travail.

 

« Tous ceux de Thetford [Mines] qui étaient pris ici, à Asbestos, étaient arrêtés automatiquement. » Yvon Hamel

 

« Dans ce temps-là, moi, j’avais 10 cents/heure, mais [ce qu’ils nous] disaient pas, c’est que nos salaires [ne] figuraient pas à ce prix-là au bureau chef à New York […] j’avais 38 cents là-bas […] 38 cents, c’était mon salaire qu’ils étaient supposés de me payer ici. » Paul Pelletier

 

« […] ç’a été des bouttes dures, ç’a été des bouttes dures, mais c’est parce que ç’a été ben dur de revenir avec les contremaîtres sur le camp […] eux autres, c’étaient rancuniers, ça leur a pris du temps avant de recommencer à nous saluer. » Alphonse Vallières

 

Les personnes qui ont été touchées par la grève de l’amiante représentent les meilleures expertes pour relater cet épisode marquant de notre histoire. Leur parole permet de bien comprendre les injustices et les inégalités sociales qui touchaient les travailleurs impliqués dans la grève de l’amiante. Du point de vue des capabilités, plusieurs étaient contraintes par les mauvaises conditions de travail des ouvriers et la vive répression attribuable à leur implication dans le mouvement syndical. Par leurs mobilisations et leurs revendications, les travailleurs de l’amiante ont tenté de retrouver un seuil minimal de capabilités leur permettant de retrouver leur dignité. Plusieurs enseignements utiles peuvent être tirés de cette histoire de cas pour l’intervention : considérer les personnes comme des sujets actifs, les sensibiliser aux effets de la libéralisation des marchés et à l’importance de la syndicalisation, et enfin, favoriser l’autonomie, le regroupement des personnes et leur participation dans les espaces décisionnels.

 

Références

 

 

Archives de Radio-Canada. (2008). L’amiante au banc des accusés. Repéré à http://archives.radio-canada.ca/sante/sante_publique/dossiers/665/

 

Archives de Radio-Canada. (1974). La grève de l’amiante. Repéré à http://archives.radio-canada.ca/societe/syndicalisme/clips/12877/

 

Au bas de l’échelle. (2014). Site Internet de l’organisme. Repéré à http://www.aubasdelechelle.ca/

 

Bissonnette, S. (1996). ’49, un souffle de colère. Office national du film. Repéré à http://beta.nfb.ca/film/49_un_souffle_de_colere

 

Bouchard, R. (2013). Y a-t-il un avenir pour les régions? Un projet d’occupation du territoire. Montréal, Québec : Écosociété.

 

Bourque, D., Comeau, Y., Favreau, L., & Fréchette, L. (dir.). (2007). L’organisation communautaire. Fondements, approches et champs de pratique. Québec, Québec : Presses de l’Université du Québec.

 

Clavette, S. (2005). Les dessous d’Asbestos; une lutte idéologique contre la participation des travailleurs. Québec, Québec : Les Presses de l’Université Laval.

 

Desjardins, F. (2013, 23 août). Wal-Mart a fait disparaître tous les syndicats dans ses magasins canadiens. Le Devoir. Repéré à http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/385763/wal-mart-a-fait-disparaitre-tous-les-syndicats-dans-ses-magasins-canadiens

 

Fortier, M. (2014a, 7 janvier). Jeunes parents diplômés en difficulté financière – Le nouveau visage de « l’insécurité alimentaire ». Le Devoir. Repéré à http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/396668/le-nouveau-visage-de-l-insecurite-alimentaire

 

Fortier, M. (2014b, 11 janvier). La déprime de la classe moyenne. Le Devoir. Repéré à http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/397030/la-deprime-de-la-classe-moyenne

 

 

Gaudreau, L. (2013). Pauvreté économique : causes et effets. Document distribué dans le cours TSO1303 - Citoyenneté et inégalités socioéconomiques, Université du Québec à Rimouski. 

 

Gélineau, L. (2014). SCH1614 – Forces et mouvements sociaux; se donner des repères communs [Présentation PowerPoint]. Repéré dans l’environnement Moodle : https://portail.uqar.ca/login/index.php

 

Gélineau, L. (2013). Vieillir dans la rue. Mieux comprendre l’itinérance et la très grande précarité des personnes de 55 ans et plus. Montréal, Québec : PAS de la rue. Repéré à https://docs.google.com/file/d/0Bxgvpz1ZRDugT3Z0UWlOT2I3ZEk/edit?pli=1

 

Gendron, G., & von Hlatky, K. (1999). Asbestos : les grévistes de 1949 - Zone libre. Repéré à http://ici.radio-canada.ca/actualite/zonelibre/02-02/asbestos.html

 

Guay, J.-H. (s.d.). Déclenchement d'une grève par les travailleurs de l'amiante à Asbestos. 13 février 1949. Repéré à http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/932.html

 

Lamarche, F. (2009). Il y a 60 ans, la grève de l’amiante
 ou les syndicats face au duplessisme. Repéré à http://www.eve.coop/?a=30

 

Musée québécois de culture populaire (2012). Le début d’un temps nouveau; Maurice Duplessis. Repéré à http://larevolutiontranquille.ca/fr/maurice-duplessis.php

 

Ninacs, W. A. (2008). Empowerment et intervention. Québec, Québec : Les Presses de l’Université Laval.

 

Nussbaum, M. (2012). Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste? Paris : Flammarion.

 

Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ). (2014) Turbulences - Une vie minée. Repéré à http://travailsocial.ca/Les-photos

 

Rouillard, J. (1999). La grève de l’amiante, mythe et symbolique. L’Action nationale, 81(7), 33-43. Repéré à http://classiques.uqac.ca/contemporains/rouillard_jacques/greve_amiante_mythe/greve_amiante_mythe.html

 

Rouillard, J. (2004). Le syndicalisme québécois. Deux siècles d’histoire. Montréal, Québec : Les Éditions du Boréal.

 

Sans auteur. (1949, 18 février). 3,200 mineurs en grève à Thetford. Le Progrès de Thetford Mines. Repéré à http://www.sahra.qc.ca/exposition/progres.html

 

Santé Canada. (2008). L’amiante. Repéré à http://www.hc-sc.gc.ca/ewh-semt/pubs/water-eau/asbestos-amiante/index-fra.php

 

Société des archives historiques de la région de l’Amiante (SAHRA). (s.d.). Exposition : la grève de 1949. Repéré à http://www.sahra.qc.ca/exposition/greve.html

 

Schwartz, K. (2003). La grève de l’amiante. Dans S. Courville, P. C. Poulin & B. Rodrigue (dir.), Histoire de Beauce-Etchemin-Amiante (p.684-700). Québec, Québec : Les Presses de l’Université Laval.

 

Turcotte, D. (1990). Mouvements sociaux et pratique du travail social : les passerelles du changement social. Nouvelles pratiques sociales, 3(1), 75-85. Repéré à http://www.erudit.org/revue/nps/1990/v3/n1/301071ar.pdf